C'est pas demain la veille |
DEUXIÈME CHAPîTRE Depuis trois jours maintenant, le village vit sous la coupe de la ligne. Le regard de Gédéon a accroché le clocher de l’église et d’un large arc de cercle, il parcourt le ciel suivant la traînée blanche que laissent les turbo-jets qui parcourent dorénavant notre Planète, un tantinet moins bleue à chaque fois. Cette immense traînée du saut du temps égrène les secondes en petits paquets cotonneux, peu à peu effilochés sous les ruades du jet-stream, puis les yeux de Gédéon s’arrêtent sur un point remarquable du vaste horizon qui s’ouvre au sud, c’est par là que le nouveau méridien plonge, s’enfuit, brouille le temps et fait s’écarter les destins . Douze coups sonnent à la vieille horloge dont les tressautements mécaniques participent à l'effacement des heures, un jeudi alangui, chaud et ensoleillé baigne la campagne vers le soleil du Levant tandis qu’un vendredi résonnant de discussions préparatoires anime quelques maisons vers le Ponant, sous un autre ciel chaud et ensoleillé, qu'annonçait bien la météo du lendemain. La réunion est pour demain. Pour demain pour les gens de l'ouest seulement ! Car les autres, les retardés de l'est, ils veulent appliquer leur calendrier tout neuf, pour eux samedi c'est demain la veille, et précisément, ce ne sera pas demain la veille qu'on va commencer à déroger à la toute nouvelle règle . Rappelons tout de même que la semaine à l'est a été bien chargée, ils ont connu deux mardis en suivant, oui un lundi : rien de plus normal , un mardi qui suit le lundi : rien à dire et donc un deuxième mardi pour s'ajuster à la nouvelle ligne de changement de date qui prenait effet ce jour là . Le choix du jour a été diversement apprécié selon les opinions bien ancrées , le "mardi" étant perçu comme un jour particulièrement laborieux, derrière le lundi traditionnellement animé par les commentaires des événements sportifs du week-end et devant le mercredi dont la position centrale dans la semaine, lui conférait le statut récupérateur d'airs d'été, aussi certains patrons se sont frottés les mains devant ce surplus de temps de travail gracieusement offert par la ligne, la grande majorité des entrepreneurs résidant à l'ouest de la ligne et leurs salariés essentiellement à l'est, comme Paris en est un autre fier exemple. On sentait dans l'atmosphère chaude de cette fin avril poindre à l'horizon une sorte de vieux clivage Est-Ouest, qui avait alimenté l'histoire du siècle dernier et les comptes numérotés et luxembourgeois des fabricants d'armes. Il était temps de faire un point sur la situation qui divise la communauté villageoise. A l'ouest du clocher d'Estimont vous êtes le vendredi 24 avril, la veille du samedi, jour habituel de réunion mais qui ne sera pas un 26 avril, date choisie je vous le rappelle pour le rassemblement tandis qu'à l'est de l'église nous sommes le jeudi 23 avril car n'oublions pas qu'il y a eu deux mardis 21 avril avec des faits que rien ne prédisposaient à se renouveler, comme la piqûre hebdomadaire de Madame Simpsom, une jeune retraitée d'Outre-Manche venue depuis peu ranimer le foyer de la vieille maison adossée à la mairie et éventuellement les ardeurs du premier adjoint au maire, un jeudi qui n'est donc pas non plus l'avant-veille du 26 avril, date proposée il y a quelques semaines pour se réunir. En conséquence les Ouestivalois qui préparent la réunion du lendemain ont tort de se croire la veille, ils se sont mélangés les pédales dans le calendrier et n'ont pas tout assimilé le fait du changement de date et les Estimontais ne ratent pas l'occasion de leur faire bien remarquer mais ceux-ci ne sont pas en reste car ils se sont tout autant trompés comme d'ailleurs l'immense majorité silencieuse, que l'on sait toujours opposée à la minorité agissante, des lecteurs de cette histoire de la quadrature du temps qui passe mais pas à l'heure ! Comme vous avez pu le remarquer, les vieux usages de la région ont repris rapidement et l'on reparle des Ouestivalois pour ces habitants de l'ouest de la commune dont les paysages verdoyants s'abaissent en vallons boisés jusque la Zervée, rivière de pêcheurs aux flots impétueux qui serpente au fond du talweg et on garde le terme plus général d'Estimontais ( parfois d'ailleurs édulcoré en Estimontois ) pour désigner ceux du plateau de l'est qui voit le point culminant de la commune surmonté d'un dolmen, certainement un très ancien lieu de cérémonies druidiques. Pour surmonter le conflit naissant entre l'est et l'ouest du pays, Gaétan, notre jeune adepte du jeu de badminton, ignorant dans sa candeur juvénile l'aspect intangible et réservé des lieux, se mit tout à coup à nous rappeler que dans notre église, en ce lieu intemporel par excellence et loin des conflits séculiers, les deux dates coexistent, séparées seulement par une allée centrale qui n'est pas si large que cela et qu'il lui semblait donc possible de discuter et puis de s'entendre. On ne prit pas la réflexion du gamin très au sérieux, les esprits s'échauffant dans de longues logomachies d'où il résultait : au lieu d'avoir mis deux mardis cette semaine là et de piétiner ainsi sur les marches du temps, on aurait du choisir pour les gens de l'ouest d'Estimont de sauter cette date du mardi 21 avril pour atterrir directement sur ce mercredi toujours et encore daté 21 avril, et alors on aurait évité les désagréments du double mardi mal vécu à l'est de la commune. Grégoire, l'ancien instit, nous apprit qu'il y avait des précédents historiques pour ce genre de démarche : cela s'était passé sous le pape Machin-chose III, et à l'époque on avait sauté allègrement une dizaine de jours pour rattraper la course du soleil et laTerre avait continué de tourner malgré tout. --> [ note 2] Gédéon s'était mis à l'écart, ne voulant pas participer à cette palinodie, il pensait cependant que ce saut du temps avait été mal utilisé et qu'il avait raté là une bonne occasion de faire un remake du vieux pacte faustien, en promettant de remettre au petit Méphisto du coin son âme justement ce jour là, avec tous les avantages que représentait ce saut du temps. À SUIVRE...mais attention, on peut se perdre Un pacte avec le diable
A propos du fameux méridien 180 , |
A propos du temps citons : Heidegger : « Le temps lui-même en l'entier de son déploiement ne se meut pas et est immobile et en paix » Saint Augustin, qui s'étonne dans ses Confessions de pouvoir sentir le passage du temps : « Comment puis-je à la fois être dans le présent et prendre suffisamment de recul pour m'apercevoir que le temps passe? » Gaston Bachelard : « Le temps n'a qu'une réalité, celle de l'instant. Autrement dit, le temps est une réalité resserrée sur l'instant et suspendue entre deux néants. » De mon coiffeur : Le temps, c'est de l'argent. Sur les tempes. De mon voisin chasseur : Je n'ai rien contre le temps, mais par moments, j'ai des envies de tuer le temps. D'un vieil ami qui se veut sage : La jeunesse est le temps d'étudier la sagesse, la vieillesse est le temps de la pratiquer. Éternel éphémère il se perd à jamais car jamais éternel il se perd éphémère des amants éternels il en fait père et mère car même éphémère ils en ont pour s'aimer Il sait nous rendre amer quand il a été fait pourtant il se peut long si tu le trouves même mais il se fera bon si le passant tu aimes s'il devient gros en mer il en faut bien assez Pour rentrer et gagner un peu de son vieil or or de temps à autre il est tout près de là là toujours des nôtres même si tout s'en va avec sa fuite alliée il est l'humble trésor Des hommes démunis qui en ont tout autant que les plus enrichis pour qui de temps en temps il se perd à gagner fugitif délétère ce TEMPS si affamé de secondes éphémères NOTE 2 : Sur le saut du temps
L'ancien calendrier : le calendrier Julien (celui de Jules César), avait pris trop de retard. Lorsqu'il arriva à Rome, César fit venir d'Égypte l'astronome grec Sosigène établi à Alexandrie, et le prit pour conseiller, à dessein de réformer le calendrier pour tout l'Empire. Il fut décrété que le calendrier romain serait désormais solaire et non plus lunaire. Jules César décida que le nouvel an tomberait le 1er janvier au lieu du 1er mars. Ce calendrier reçu le qualificatif de julien en l'honneur de l'empereur. Pour ramener le calendrier en concordance avec le soleil, César commença par ajouter 90 jours aux 355 jours du calendrier romain. L'année 46 avant notre ère comporta donc 445 jours et on lui donna le nom «d'année de la confusion». Il fallut aussi rajouter de temps à autre des années bissextiles. L'année julienne est divisée en 12 mois de 30 ou 31 jours, sauf pour février qui en contient 28 ou 29. Ce calendrier comprend trois années communes de 365 jours, suivies d'une année bissextile de 366 jours, année où le mois de février est de 29 jours. César, pour ne pas choquer les superstitions, ne voulu pas ajouter un jour à la fin de l'année, qui se terminait alors le 28 février. Il préféra doubler le vingt-quatrième jour de février qui portait le nom, immérité, de « sixième avant les calendes de mars ». Le jour supplémentaire fut donc dit : bis-sextus ante calendas martias, d'où notre terme de bissextille. Le calendrier julien fut ensuite adopté par l'Église au Concile de Nicée, en 325 de notre ère. Mais dès 730, le calendrier était en décalage de près d'une semaine par rapport au cycle solaire. De fait, la durée moyenne de l'année julienne, 365 jours et 6 heures (365,25 jours) est une approximation médiocre de l'année tropique de 365 jours 5 heures 48 min. 45,97 sec. C'est ce qui a conduit par la suite à son remplacement. Au XVIème siècle, le calendrier julien qui était resté en vigueur avait un décalage de 10 jours sur le cycle du soleil. Le Concile de Trente chargea alors la papauté de régler le problème. C'est le pape Grégoire XIII, aidé de savants dont le jésuite allemand Clavius et les frères Lelio, qui réalisa la réforme en 1582. Pour enrayer cette dérive, il s'agissait de supprimer 3 jours tous les 400 ans. Mais sur le moment il fallait réajuster le calendrier en comblant le retard cumulé depuis la réforme julienne. Par une bulle papale publiée en 1582, on supprima 10 jours cette année-là. Les années continuèrent à être bissextiles tous les quatre ans, années dont les deux derniers chiffres forment un nombre divisible par 4, comme pour le calendrier julien. Mais les années séculaires, qui étaient toutes bissextiles jusqu'alors, ne le seraient plus désormais que si les deux premiers chiffres forment un nombre divisible par 4. Ainsi 1700, 1800 et 1900 n'ont pas été bissextiles, mais 2000 si. Par cette règle simple, l'année grégorienne moyenne devient égale à 365,2425 jours (365 jours 5 heures 49 min. 54 sec.), soit un excès de 3 jours en 10 000 ans sur l'année tropique. Cette réforme fut mise en place de la manière suivante : à Rome, le lendemain du jeudi 4 Octobre 1582 fut le vendredi 15 Octobre 1582, afin de supprimer les 10 jours d'avance du calendrier au moment de l'équinoxe. La réforme fut adoptée à des moments différents par les états européens, suivant leurs religions et leurs réticences populaires aux modifications du calendrier en usage : rapidement par les états catholiques, en 1700 par les états protestants, en 1752 par l'Angleterre, en 1923 par les états orthodoxes. En France, le 20 décembre 1582 succéda au 9 décembre ; en Angleterre, le 2 septembre 1752 fut suivi du 14 septembre. Le calendrier grégorien a été adopté par le Japon en 1873, la Chine en 1911, la Russie en 1918, la Roumanie en 1919, la Grèce en 1923 et la Turquie en 1926. Actuellement, c'est toujours la réforme grégorienne qui est en usage en France et dans la plupart des pays du monde. Malheureusement, notre année n'est toujours pas calée avec le cycle solaire. C'est ainsi qu'au début des années 1990 toutes les horloges du monde entier se sont arrêtées de fonctionner pendant "1 seconde". Ce recalage infime ne fut évidemment perçut par personne et on devrait avoir ainsi, à interval régulier, un petit "saut" du temps. |
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